Depuis mon dernier post...
J'ai lu les deux livres qui font suite à
l'Amulette de Samarkand,
de Jonathan Stroud. Ces trois bouquins constituent une trilogie autour de Bartimaeus, le djinn le plus humain au service des sorciers les plus démoniaques.
Et c'est avec énormément de plaisir que j'ai découvert le voyage du héros. Dans le premier tome (l'Amulette de Samarkand), c'est un adolescent qui découvre la magie, avec des dispositions naturelles assez épatantes qui lui permettent de contrôler un djinn à douze ans, quand la plupart des magiciens adultes doivent se concentrer pour invoquer un démon de cette puissance. Mais dans le deuxième livre (
The Golem's eye), puisqu'il réussit son parcours initiatique et qu'il intègre avec succès le gouvernement des mages britanniques, qui forment un système totalitaire dominant l'Europe... Il devient très logiquement l'antagoniste principal, pendant qu'on suit les actions de la Résistance, à travers une bande de jeunes qui sont nés avec une résilience magique, qui leur permet de résister à pas mal de sortilèges... L'auteur a eu le culot (et l'intelligence, puisque cela respecte la logique du personnage) de faire de son héros un méchant particulièrement dangereux.
[analogie foireuse] Un peu comme si Harry Potter devenait ministre de la propagande dans le Ministère de la Magie contrôlé par Voldemort, et qu'on devait suivre les aventures de la Résistance autour d'Hermione Granger.
[/analogie foireuse]
Et dans le troisième livre, (
Ptolemy's Gate), j'ai pris mon pied. Bartimaeus le djinn évoque enfin le sorcier génial qui le contrôlait dans l'Antiquité: le philosophe Ptolémée d'Alexandrie. Ce dernier lui posait les questions qu'aucun autre magicien n'imaginait: qu'est-ce que l'essence d'un démon? De quoi est composé "l'Autre Endroit" depuis lequel les démons sont invoqués? Quelle est leur nature? A quel point les deux mondes sont-ils perméables? Sans jamais devenir un traité, le livre ose aborder des problèmes métaphysiques tout en gardant un excellent rythme de récit. C'était parfait, c'était génial, et dans dix ans je serai là pour dire que l'adaptation en film par Universal est une merde qui a trahit l'oeuvre originale.
Image : FAIRE UN FILM
Faire un film,
de Sydney Lumet: je suis tombé dessus un peu par hasard et il se trouve que ce livre a été chaudement recommandé par Karim Debbache. Je suis déjà un admirateur de Sydney Lumet, surtout pour
Douze hommes en colère, mais je dois admettre que ce livre a visiblement été écrit autour d'un canevas, et qu'on sent le côté artificiel du découpage. L'intérieur des chapitres manque de structure, ce qui pourrait être un problème si Lumet se perdait dans des détails inutiles. Mais non: tout est utile: de son organisation personnelle, des détails sur la lumière, les acteurs, leur jeu, l'analyse technique... Tout fait sens et permet au lecteur de comprendre de l'intérieur le métier de cinéaste. Sans cynisme ni révélations putassières sur la vie des acteurs, Sydney Lumet explique simplement comment il fait un film, comment il choisit le casting, les techniciens majeurs (on découvre que de son point de vue, le directeur de la photographie et surtout le chef-opérateur sont pratiquement aussi importants que le réalisateur). C'est assez admirable d'humilité aussi: c'est un réalisateur qui ne croit pas à la "politique des auteurs" et défend une vision plurielle, complexe et nécessairement collective de ce qu'est un film.
Pour les amateurs, il révèle que Marlon Brando avait une technique pour "tester" les réalisateurs pendant les répétitions. Il jouait la même scène deux fois: une pleinement investi dans le personnage, émotionnellement très impliqué dans son texte, l'autre plus détachée, récitant le texte avec talent, mais sans y mettre l'émotion. Si le réalisateur choisissait de développer la deuxième prise: Marlon Brando ne s'impliquait plus du tout dans le tournage et faisait le strict minimum pour toucher son cachet... Les cinéphiles comprendront ce qui a pu arriver en début de tournage sur
Apocalypse Now pour que ce film devienne aussi dur à tourner.
Le paradoxe de Fermi,
Jean-Pierre Boudine: J'ai acheté le bouquin sur un coup de tête. C'est de la science-fiction française récente: le livre a eut une première mouture en 2002, mais est sorti révisé en 2015.
A partir de 2022, un crash boursier a précipité suffisamment de sociétés dans le chaos pour que l'équilibre géopolitique déraille. Entre pétrole, religion, trafic d'arme et menace nucléaire, le monde a tout doucement glissé vers l'apocalypse, sans s'en rendre compte. Le narrateur fait son journal, et raconte la chute épisode par épisode. L'arrêt des transaction bancaires, les salaires en retard... Les gens qui abandonnent leur boulot, le troc... Puis, de semaine en semaine, l'organisation des milices, les révoltes, les grèves... Puis, des mois plus tard, le morcellement politique de l'Europe politique en petites régions indépendantes et malveillantes. La solution diplomatique? Elle a été trouvée, avec des années de retard, quand il n'y avait plus assez de ressources pour la mettre en place, plus d'essence et pas assez de chevaux pour transporter les militaires. Depuis le monde a sombré, les survivants se sont regroupés en petites communautés utopistes. Le narrateur a fait partie d'un groupe humanistes, dans la Baltique... Puis les survivants sont devenus trop rares, trop éclatés, solitaires. Plus d'essence. Plus de piles pour les radios. Plus d'électricité... Il s'est réfugié dans les Alpes qu'il connait si bien: les quelques groupes de pillards qui existent encore ne s'aventurent pas au-delà des deux mille mètres d'altitude... Et aujourd'hui, le seul soucis du narrateur, entre deux fabrications de chaussons en peaux de marmotte, est de s'assurer que sa petite source de montagne n'a pas encore été contaminée par les retombées radioactives qui ont déjà détruit toute l'Europe de l'Est.
Agrégé de mathématiques, l'auteur décrit les détails de la chute sociale et économique, sans jamais devenir ennuyeux, ni trop technique. Son narrateur est surtout concerné par le soucis de ne pas devenir fou: il décrit la chute pour ordonner ses souvenirs et ses pensées, pour se distraire de son manque d'avenir évident.
Avec autant de planètes, autour d'autant d'étoiles, comment expliquer que l'espace soit muet et qu'on n'ait jamais reçu de signal d'une civilisation lointaine? Parce que les civilisations disparaissent sous leur propre poids.